Les personnages russes

Les personnages russes du livre sont si nombreux que des lecteurs m'avouent s'être perdus dans la galerie... Mise au point, et quelques photos récupérées dans des cartons, ou tirées de l'album que ma mère a pris soin de constituer pour moi.

Valérie, dite Babou par les enfants, c'est elle. Son nom n'est cité nulle part dans le livre; elle n'y est désignée que par son statut de mère. Pourquoi ne dis-je pas son nom? Je m'interroge à ce sujet. Y ai-je mis quelque chose de sacré, qui m'empêche de l'appeler par son prénom? C'est en fait plus simple: personne n'appelle sa mère par son prénom, et je ne l'ai évidemment jamais appelée "Valérie". Pourquoi le faire alors dans un livre?

Sa soeur, Hélène, a épousé Nissim, juif non pas marrane, comme je l'ai écrit à tort, mais sépharade. C'est lui l'amateur de musique à la collection sans fin. J'en parlerai à nouveau ailleurs. Marianne, ma cousine, c'est leur fille; et son copain Alexandre le chanteur a été longtemps chef de choeur de l'église russe de Genève.

Leur mère, c'était ma babou, ma grand-mère, notre grand-mère à Marianne et à moi. Pour tout compliquer, elle s'appelait aussi Valérie. Enfant, elle partait de Russie par l'est, tandis que son futur mari et tout aussi enfant, partait par le sud avec les restes de l'aristocratie et de l'armée blanche.

Mes premiers souvenirs d'elle se situent au Grand-Saconnex, sur la longue table de monastère où nous jouions aux puces un jeudi après-midi où le soleil peinait à percer sur le balcon.

Elle avait un frère, Choura, l'ami du prince de Siam coureur automobile. Choura avait construit cette incroyable horloge astronomique en mécano, exposée à la Sorbonne, et qui était devenu plus anglais qu'un anglais, habitant à Londres.

La famille des exilés russes à Genève: Melchior, le vieux monsieur assis, derrière lui sa fille (ma "babou"), entourée par ses filles: ma mère à sa gauche, Hélène à sa droite. Le grand personnage chauve, c'est Choura. 

L'époux de ma Babou, c'est le prince Alexandre Dimitrievitch Obolensky, rencontré à Paris à l'aube de la crise de 29. C'est une famille très ancienne, l'une des dix familles dites "rurikides" par les amateurs de généalogie, c'est-à-dire de la lignée de Rurik, fondateur de la Russie au neuvième siècle.

Cet Alexandre Obolensky au teint pâle avait un frère, Dimitri (les prénoms dans la famille ne brillent pas par leur originalité, soit Dimitri, soit Alexandre pour les garçons...), lequel est devenu prof d'histoire et littérature russe à Oxford, mais je ne l'ai pas du tout connu.

Mais il avait aussi une demi-soeur, née du remariage de leur père. Cette demi-soeur s'appelait Hélène, mais en russe on utilise des diminutifs, et elle était Alionka pour les intimes. Alors qu'Alexandre, après avoir goûté l'Angleterre, s'était établi en France, Alionka et Dimitri s'étaient installés à Londres. C'est de son séjour de jeunesse chez Alionka que ma mère gardait le souvenir enchanté de l'Angleterre, et c'était ce séjour qui lui revenait en mémoire lorsqu'elle a débarqué à la gare de Victoria, les lunettes mal ajustées mais un grand sourire sur les lèvres, pour passer une semaine avec nous en 2001.

Quant à leur père - qui pour bien faire s'appelait Dimitri lui aussi - il est resté en France et c'est lui qui a vécu dans un cabanon provençal auprès d'une compagne du coin, près de la plage de la Mirandole où, les jours de baignade, on saluait Picasso.

Reste à situer Paul Tolstoï. Fils du premier mariage de la seconde femme du grand-père Obolensky - vous me suivez -, il n'a donc aucun lien de sang avec ma mère. Cependant, la proximité familiale était très grande et il a toujours été comme une sorte de grand frère pour elle. Qui a dit que les familles recomposées, c'était récent? J'ai totalement adoré Paul. Il respirait une Russie ancienne pleine d'orthodoxie et de manteaux élimés, il avait des yeux bleu vif, et sortait d'un roman où l'on aurait raconté les aventures d'un type voué aux coincidences et aux aventures les plus invraisemblables. C'est lui qui débarquait les bras ouverts apportant l'air frais dans la salle à manger où mon père aimait à se tenir au calme, et à qui je racontais toutes mes propres petites mésaventures d'enfant, et à qui je montrais de temps en temps un poème ou un récit maladroit.

Revenons à ma babou et à son frère Choura. Avant la Révolution russe, ils habitaient la ville de Kazan où le commerce de leur père, Melchior, était florissant. Melchior portait un nom suisse: Rahm. La famille shaffhousoise était venue chercher fortune en Russie sous Catherine la Grande et s'était enracinée dans ce pays; on y épousa des femmes en vue et on y épousa aussi la religion orthodoxe. Melchior avait ainsi épousé une de ces grandes bourgeoises au style flamboyant, Marie Molotkoff.

La maison Rahm à Kazan.

A Kazan, les Rahm habitaient une spacieuse demeure urbaine. La maison des Molotkoff, quant à elle, est aujourd'hui classée au registre des sites protégés et abrite apparemment un des restaurants élégants de la ville. Ces Molotkoff étaient une famille assez nombreuse; l'une des belles-soeurs de Melchior était la mère de la tante Nina dont je parle, la vieille dame de presque cent ans qui chercha son frère Yacha dans les trains de la déportation. Je reste en contact avec sa fille Tamara, professeur de piano à la retraite à Saint Pétersbourg. Quant à Yacha, celui qu'on ne revit jamais, sombré dans l'Archipel, c'est sa femme Maroussia qui avait traversé la Russie jusqu'en Perse, enceinte d'Olik, ce cher mécréant fumeur de caporal chez qui nous descendions rue Massenet à Paris. J'ai connu son fils Nicolas quand j'étais enfant; je l'aimais bien, je me dis que je devrais chercher à le retrouver et renouer contact.

Il reste enfin un tendre personnage: le chien Rouslane, qui regarde le monde depuis la fenêtre et trouve que le temps a passé bien vite.

Rouslane


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